Qui pourrait avoir le culot d'investir vingt millions de dollars dans une franchise pour un jeu vidéo qui n'a pas encore fait ses preuves dans le sport électronique ?

 

Pour ce premier article d'une série sur les propriétaires de franchises, nous avons passé au crible l'acheteur du slot de la ville de Shanghai, NetEase.

 

La société : NetEase

 

Quasiment inconnue en Occident, NetEase est une société assez généraliste des technologies Internet qui emploie environ 15 000 personnes. Valorisée un peu moins de 40 milliards de dollars en bourse, elle fait pâle figure à côté d'Alibaba et de Tencent qui pèsent 10 fois plus. Trois quarts de ses revenus proviennent des jeux en ligne, dont les deux tiers des jeux mobiles incroyablement rentables en Chine grâce à la facilité avec laquelle le public acquiert ou offre des objets virtuels. 

 

 

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Son coût d'éclat dans le domaine des jeux vidéo, NetEase l'a réalisé en 2009 en s'emparant du contrat de distribution de World of Warcraft en Chine face à la société The9 (désormais au bord de la faillite). Le partenariat avec Blizzard s'est ensuite étendu à Starcraft II, Heartstone, Diablo III et Overwatch, un accord qui court jusqu'en janvier 2020. Cette manne rapporte 600 millions de dollars par an à NetEase, soit environ 10 pourcent des revenus de la société. En revanche, NetEase est passée complètement à côté de la révolution du commerce électronique.

 

L'homme derrière la société : Lei Ding

 

Le fondateur et président directeur général de NetEase est Lei Ding, né en 1971 et diplômé de la prestigieuse Université des sciences et technologies électroniques de Chine. Après un début de carrière chez Sybase, il fonde NetEase en 1997 et lance de nombreux services pionniers en Chine : premier service d'e-mails, premier portail d'actualités, premier site d'enchères... En 2000, il fait coter sa société en bourse aux États-Unis, la valeur de l'action passe de 1 à 70 dollars en quelques mois. À l'explosion de la bulle Internet, il échappe de peu à la faillite : les comptes sont truqués ! Le chiffre d'affaire, bidonné à tous les étages de la société, est en réalité deux fois moindre qu'annoncé.

 

 

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Malgré ces péripéties, il devient l'homme le plus riche de Chine dans le milieu des années 2000. Sa présence en bourse sur le NASDAQ en fait un des rares investisseurs dans le développement de l'Internet chinois accessible au monde entier. Aujourd'hui, il fait toujours partie du top 10 des personnes les plus riches de Chine avec un patrimoine de plus de 15 milliards de dollars. Plus discret que le PDG d'Alibaba, Jack Ma, il s'exprime peu en public, on ne lui connait pas d'attaches avec le sport électronique et il ne semble pas avoir effectué de déclaration à ce sujet.

 

Les expériences e-sport : Fantasy Westward Journey 2

 

NetEase n'est pas la société la plus active sur le marché de l'esport chinois. La palme revient à Tencent, qui domine très largement le marché grâce à la popularité de League of Legends et surtout de son clone mobile King of Glory. Ses 50 millions d'utilisateurs quotidiens inquiètent même le gouvernement chinois qui l'a récemment qualifié de "poison". De son côté, Alibaba semble axer son développement sur l'événementiel avec 150 millions de dollars investis dans les WESG (World Electronic Sports Games).

 

Le principal titre esport de NetEase est Fantasy Westward Journey, un MMORPG qui a réuni plus d'un million de téléspectateurs lors d'un tournoi en 2015 mais dont la domination a été mise à mal par King of Glory. L'opacité des négociations sur les franchises ne permet pas de déterminer si cet investissement est issu d'une véritable volonté de NetEase ou si Blizzard a forcé la main à son partenaire de longue date à seulement 2 ans du renouvellement des contrats.

 

 

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L'e-sport selon NetEase : Fantasy Westward Journey

 

De fait, la proximité entre Blizzard et NetEase peut faire redouter des conflits d'intérêts majeurs en cas de controverse. NetEase est le distributeur du jeu en Chine et possède par conséquent des informations dont ne disposent pas les autres structures ainsi qu'un canal de discussion privilégié avec Blizzard.

 

La line-up : Invictus Gaming

 

D'un point de vue organisationnel, Netease a très rapidement mis en place une structure légale pour gérer l'arrivée d'une équipe. Une société a été enregistrée à Hong Kong le 18 juillet : NetEase Esports (Hong Kong) Limited. Celle-ci a ensuite déposé la marque Shanghai Dragons le 16 août, ce qui laisse peu de doutes sur le nom de la franchise.

 

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Coïncidence ou clin d'oeil ?

Shanghai Dragon's Eye, un jeu de Mahjong publié par Activision

 

À fin septembre, NetEase/Shanghai Dragons a d'ores et déjà recruté les deux équipes d'Invictus Gaming mais n'a pas encore finalisé sa line-up, ni officialisé le nom de sa franchise :

 

 

         Flag Shanghai Dragons
        Flag Chai "KHeart" Lei (DPS)  
        Flag Feng "Yakumo" Zihan (DPS)  
        Flag Chen "ZiJin" Qinhao (Flex)  
        Flag Zhou "Huamao" Xiaolong (Flex)  
        Flag Zou "YangYang" Mingyang (Tank)  
        Flag Kong "Kyo" Chunting (Support)

 

        Flag Chen "5King" Zhaoyu (Support)  
        Flag Wang "WinWinQ" Wenjin (Support)
        Flag Jia "Nai8" Jia (Analyst)
        Flag Li "Muzi" Dong (Coach)

 

 

 

Verdict : bonne opération

 

C'est sans doute la franchise pour laquelle l'intérêt de participer à la ligue est le plus évident. Les retombées d'une réussite de l'Overwatch League seront directes pour son distributeur chinois et synonymes d'augmentation des abonnements. On peut également se demander si NetEase avait véritablement le choix de refuser la proposition de Blizzard.

 

Il reste simplement à concrétiser cela en affinant sa line-up pléthorique, en réglant les éventuels problèmes de visas et en s'assurant que les matchs soient joués à des horaires raisonnables malgré les 8 heures de décalage horaire avec le lieu de la compétition. Il faudra également éviter l'écueil des conflits d'intérêts, mais cette tâche appartient à Blizzard, le public chinois ne tiendrait pas rigueur à NetEase d'avoir favorisé ses propres joueurs.

 

 

L'avis de Jean-Michel Aulas*

 

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Après nous avoir volé Oscar, Hulk et Nicolas Anelka, les Chinois vont-ils débaucher nos line-ups Overwatch ? Comment voulez-vous qu'on rivalise avec notre budget ?

 

*enfin presque