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Le partenariat avec ESPN+, un échec pour Riot Games ?

 

Cela a été annoncé le 25 mai : Riot Games a signé un partenariat avec la société ESPN pour diffuser les compétitions nord-américaines de League of Legends sur une plateforme du groupe créée le 12 avril dernier, ESPN+. A priori, rien de mauvais : c’est un partenariat qui pourrait amener plus de public à regarder l’esport. Sauf que ce partenariat a des origines plus lointaines et son résultat a fait l’effet d’un pétard mouillé pour les connaisseurs. La rédaction vous explique.

 

BAMTech : un partenariat à 300 millions pour Riot Games

 

Cette histoire remonte à décembre 2016. Le 16 décembre, le journal de Wall Street annonce un partenariat entre Riot Games et BAMTech qui fait écho dans la communauté esportive dans son ensemble, pas seulement au sein de la communauté du MOBA à succès. En cause : l’envergure économique du projet, avec des chiffres comme 300 millions de dollars, montant des bénéfices pour Riot Games, et une durée de 7 ans. Seul Blizzard aura retenu la même attention avec l’annonce de l’Overwatch League.

 

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Les places en Overwatch League ont coûté près de 20 millions de dollars.

 

Ce partenariat devait consister, pour BAMTech, à développer une application avec Riot Games qui aurait été totalement dédiée à la scène compétitive de League of Legends. Cela promettait une tout autre expérience pour le spectateur, autant américain que des autres régions car toutes les compétitions étaient ciblées par l’application. À cela devaient s’ajouter les bénéfices obtenus grâce à des publicités diffusées pendant les compétitions, dans le style de ce qui se fait sur YouTube.

 

Donnons un peu de contexte à cette annonce, qui est arrivée à un moment clé dans le futur de la scène nord-américaine sur League of Legends : le 22 septembre 2016, Riot Games avait annoncé le projet de nouer des « partenariats sur le long-terme », c’est-à-dire d’amener les franchises aux LCS NA. Même si les détails ne furent pas dévoilés avant le 1er juin 2017, tout le monde savait que Riot parlait bien de ce modèle économique, qui prospère aux États-Unis avec la NFL pour le football américain, la NBA pour le basket, etc. En outre, cette annonce était arrivée alors que des rumeurs sur une ligue franchisée pour Overwatch se faisaient entendre (ce qui allait devenir l’Overwatch League).

 

Le franchising pour les noobs

 

Pour rappel, les franchises consistent, dans l’esport, à permettre l’accès d’une ligue aux équipes non pas qualifiées par leurs performances, mais par l’achat d’une place pour plusieurs saisons d’affilée, ce qui offre une stabilité aux clubs et structures qui ne risqueront plus la relégation en cas de mauvaises performances de leurs joueurs.

 

Actuellement, la grande majorité des ligues (surtout en Europe et en Asie) obéit à l’autre système qui est celui de la relégation : les niveaux se découpent du plus bas au plus haut et les équipes peuvent monter jusqu’à la plus haute des ligues en passant par des qualifications. À l’inverse, les mauvaises équipes subissent la relégation dans la ligue du dessous. Pour les LCS en Europe, cela prenait cette forme : les équipes se qualifient pour les Challenger Series, doivent passer en playoffs puis faire leurs preuves dans le tournoi éliminatoire pour être qualifiées en Promotion des LCS, où ils affrontent les deux équipes LCS du bas de classement (Qualifiers → Challenger Series → LCS). Ce schéma n’est plus valable, puisque l’Europe prépare sa propre arrivée du franchising aux LCS. Les Challenger Series n’existent donc plus et ont laissé place à des ligues locales et aux European Masters, qui n’offrent aucune place dans le circuit majeur des LCS.

 

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Origen a remporté les premiers European Masters.  (c) Timo Verdeil

 

Depuis deux ans, les ligues franchisées se multiplient sur la scène nord-américaine et font leur arrivée en Europe. Si le franchising est un modèle stable et rassurant pour les sponsors, la place est chère : pour la première saison franchisée des LCS NA, elle s’élevait à 10 millions de dollars minimum. Pour celles en Overwatch League, pire : la place coûtait plus de 20 millions de dollars, et les chiffres de 40 à 60 millions ont été annoncés pour la saison 2 de la ligue majeure.

 

L’annonce qui arrivait au bon moment

 

Reprenons : l’annonce du partenariat avec BAMTech s'est faite le 16 décembre, soit trois mois après celle de l’arrivée des franchises aux LCS NA. Même si le timing est décalé pour le public, par rapport aux acteurs qui sont (normalement) informés auparavant des actualités, il semble que l’annonce du partenariat avec BAMTech soit sortie au moment où Riot Games en avait le plus besoin, pour renforcer la valeur de l’offre de sa ligue nord-américaine. En somme, elle serait arrivée au moment des négociations avec les structures pour investir dans la ligue franchisée.

 

Un partenariat de cette ampleur a dû donner une raison de plus (et pas des moindres) aux structures d’investir chez Riot Games. En effet, en plus de renforcer la légitimité de Riot Games, ce partenariat devait également bénéficier aux structures. Et ce grâce aux partages de revenus qui prenaient tout de suite plus de valeur.

 

À quoi correspondent les partages de revenus ? Il s’agit d’un des avantages les plus importants pour les structures dans le cadre d’une ligue franchisée. C’est un système plébiscité dans toutes les ligues franchisées du sport traditionnel aux États-Unis. En vertu de ce modèle, Riot Games s’engage à partager les revenus qu’il reçoit via la diffusion et les tickets des compétitions esportives sur son jeu. Cette obligation est fondée sur le principe que la présence de certaines équipes offre plus d’audience pour les compétitions officielles ; elles ont donc leur rôle à jouer dans le succès des compétitions et doivent recevoir leur part.

 

En échange, l’équipe partage ses revenus de sponsorship et merchandising pour équilibrer les finances de toutes les autres (particulièrement celles des moins fortes). Ce partage doit se faire au profit des équipes mais aussi des joueurs, qui ont dans le même temps un salaire minimum garanti par Riot Games. Cela donne des revenus partagés en trois sur l’organisation et la diffusion des compétitions. La valeur du partenariat avec BAMTech prend alors tout son sens, puisqu’il devait renforcer très largement la valeur de la diffusion des LCS NA, parmi les autres compétitions, et donc faire grossir (considérablement) le gâteau de ces partages.

 

ESPN+ et Riot Games : les miettes du partenariat initial

 

Et le 25 mai, c’est le coup de tonnerre : le partenariat avec BAMTech n’existe plus. Il a « évolué », selon le communiqué de presse d’ESPN, pour devenir le partenariat qui a été annoncé avec ESPN+. En quoi ce nouveau partenariat consiste-t-il ? ESPN s’engage à diffuser les matchs des LCS NA sur sa plateforme digitale nouvellement créée, ESPN+, qui rassemble un catalogue de compétitions sportives à l’adresse du public américain, en l’échange d’un abonnement au prix modeste de 5 dollars par mois.

 

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Bjergsen, l'une des stars des LCS NA. (c) Riot Games

 

ESPN est un réseau international de chaînes télévisées sur le sport. La création de l'application mobile est un premier pas vers le digital. L’entreprise est aussi ancrée dans l’esport avec sa branche spécialisée dans son webzine ; c’est l’un des plus lus par la communauté nord-américaine de l’esport. Quant à la précision du partenariat noué avec Riot Games, il est particulièrement opaque puisque aucun chiffre ne nous est donné. On ne sait pas combien ESPN+ a payé Riot Games, pour combien de temps ni pour quelles compétitions. Néanmoins, les ligues régionales en-dehors de l’Amérique du Nord sont officiellement sorties du scope de la diffusion, puisqu’ESPN+ a précisé se focaliser sur les compétitions purement nord-américaines. On ne sait pas encore si les compétitions mondiales, comme les Rift Rivals ou les World Championships, seront diffusées sur cette plateforme.

 

Mais ce que l’on sait, c’est que ce partenariat n’aura pas la même envergure que ce que proposait BAMTech. Il ne s’agit plus d’une plateforme entièrement dédiée à League of Legends, qui promettait d’améliorer drastiquement l’expérience du spectateur, ni d’une diffusion de toutes les compétitions officielles dans le monde puisque ce sera uniquement focalisé sur les États-Unis. Enfin, nous n’avons pas l’information mais il semble très peu probable que ce partenariat soit noué pour 7 ans d’affilée ou plus.

 

En outre, les revenus de Riot Games seront moindres, puisqu’il n’y aura pas de publicité en dehors des vidéos, outre les pages de publicité classiques que l’on retrouve à la télévision. La réduction de la publicité fait partie de l’offre d’ESPN+ dans son communiqué : « Les abonnés profitent d’une expérience avec une publicité limitée ». C’est aussi une offre qui ne s’adresse pas aux fans de l’esport sur League of Legends, avec les compétitions encore accessibles gratuitement sur Twitch et YouTube… l’objectif est seulement d’amener plus de spectateurs pour Riot Games, et plus de vues pour ESPN+ qui cherche à renouveler son audience via son offre digitale.

 

Pourquoi le partenariat avec BAMTech aurait-il disparu ?

 

Beaucoup de changements ont eu lieu en cours de route. Pour commencer, la mise en œuvre du partenariat avec BAMTech montrait des signes de faiblesse sur l’année 2017 : le 12 août, le média américain The Esports Observer révélait que la sortie de l’application souffrait d’un report conséquent. Censée sortir en juin, selon des sources internes, elle n’aurait pas vu le jour avant l’année 2018. Selon l’interview de Travis Gafford en 2016 de Riot Games, le partage de revenus devait aussi être effectif en 2018. Au vu du timing de l’annonce du nouveau partenariat, il semble que les structures n’aient jamais vu la couleur de l’argent supplémentaire qui aurait dû être insufflé grâce à BAMTech.

 

Du côté de la société BAMTech, des changements conséquents ont eu lieu en interne sur les années de 2016 et 2017 : en 2016, il y a des rumeurs selon lesquelles Disney rachèterait MLB.tv, le média propriétaire de BAMTech, pour renforcer ses activités dans la diffusion des événements sportifs. Le 8 août 2017, l’annonce sort : Disney est devenu actionnaire majoritaire de BAMTech pour 1,58 millards de dollars. En outre, ESPN est propriétaire de BAMTech... on le sait, un rachat amène avec lui des changements forts en interne et dans la politique d’une société, surtout quand on sait que c’est une entreprise à envergure mondiale comme Disney.

 

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John Skipper, ancien boss d'ESPN, était loin d'apprécier l'esport.

 

La direction d’ESPN a également changé entre temps : avant, John Skipper tenait les rênes et il était connu pour être réfractaire à l’esport, malgré la santé économique du marché. En revanche, le nouveau président Jimmy Pitaro, qui est arrivé le 5 mars dans la société, semble plus favorable à mener des actions dans le domaine. Pour terminer, toutes ces sociétés sont liées puisque Disney est désormais propriétaire des deux. Évidemment, on ne sait rien des vraies raisons qui ont causé ce changement de partenariat en cours de route. En un an et demi, le monde économique évolue, surtout l’esport qui avance à un rythme effréné.

 

Les conséquences de cette annonce

 

La conséquence directe, selon les informations que l’on a sur les différences entre les deux partenariats, est que Riot Games a perdu un potentiel de bénéfices important, entraînant la même perte pour toutes les structures qui ont investi dans les LCS NA. En outre, cette annonce arrive au plus mauvais moment pour l’éditeur : le 22 mai, Epic Games a annoncé investir 100 millions de dollars dans les cashprizes des compétitions sur Fortnite. Si le jeu écrase tout depuis sa sortie, il n’est pas encore bien positionné dans l’esport, mais son éditeur a décidé de mettre fin aux interrogations pour en faire un jeu viable et populaire sur la scène.

 

Au regard des moyens mis en œuvre, nul doute que Fortnite représentera une part d’audience conséquente dans l’esport mondial quand une ligue sera lancée et tous les autres jeux vidéo vont en pâtir, dont League of Legends. La concurrence se fait de plus en plus forte entre les différents jeux chaque année, si bien que chacun a sa place à défendre. L’apport d’une plateforme dédiée et exclusive aux compétitions de Riot Games aurait été un atout considérable dans ce contexte.

 

Selon le journaliste américain Travis Gafford, cette évolution de partenariat est « un désastre » d’un point de vue business, surtout car les structures qui ont payé leur place en LCS NA pensaient que le partenariat avec BAMTech allait se réaliser. Il évoque même l’« échec public le plus important de Riot ». Selon lui, c’était la seule offre qui arrivait à la cheville du partenariat entre l’Overwatch League et Twitch, un partenariat qu’il aurait aimé voir se nouer avec Riot Games.

 

En attendant, le premier match qui sera diffusé sur ESPN+ aura lieu le 15 juin, avec l’ouverture du Summer split des LCS NA. Il sera intéressant de voir quelle audience l’application apportera. Peut-être aurons-nous prochainement plus de détails sur ce partenariat.