Marty Strenczewik, le propriétaire de la structure américaine Splyce, s'est confié au micro de The Shotcaller pour parler de l'industrie de l'esport en général. Il a également eu l'occasion d'en dire plus sur l'histoire de sa structure et les difficultés qu'il a traversées. Voici les extraits sélectionnés par la rédaction.

 

Quand on tape sur Internet "Splyce Marty", on tombe en premier lieu sur une vidéo postée sur Twitter, où tu expliques qu'après la dissolution de l'équipe CS:GO de Splyce, la structure va allouer les ressources à l'équipe de League of Legends, et celle-ci deviendra la tête d'affiche de la structure. Mais que se passera-t-il si Splyce n'est pas sélectionnée en tant que partenaire l'année prochaine ?

Comme n'importe quel business, il y a des plus et des moins. Pour l'instant, on a fait nos prévisions pour être acceptés et on verra ce qui se passera par la suite. Si ce n'est pas le cas, en temps voulu, on réajustera nos plans et on restructurera notre organisation. Parce que au moment où l'on parle, notre équipe de League of Legends est la figure de proue de notre marque et c'est là où va la majorité de nos ressources. Bien sûr que c'est un gros problème si on n'est pas acceptés, mais ça ne sert à rien de prévoir un scénario trop à l'avance, il faut surtout s'adapter au moment venu. Tous les jours je collecte les informations, sur les réseaux sociaux, des données quantitatives et j'adapte notre stratégie. 

 

En tant que propriétaire d'équipe, est-ce que c'est inquiétant de voir Riot Games chercher à réduire certains coûts ? Notamment le fait de ne pas envoyer de casters aux Worlds cette année ?

Je n'ai pas d'informations supplémentaires là-dessus, mais je sais que trop de personnes prennent les informations hors de leur contexte. Actuellement je pense que personne n'a un business esport qui soit rentable, et cela inclut aussi les producteurs. Riot se fait de l'argent, mais sur le jeu, et s'ils veulent faire en sorte que la partie esport rentre dans leur business, ils doivent s'adapter et proposer un plan d'entreprise. Dans tous les cas, je vais attendre avant de juger. Peut-être que ça sera nul, peut-être que ça sera super, peut-être qu'on n'aurait même pas remarqué si cela n'avait pas été rendu public... Mais je comprends que Riot cherche à rendre son business rentable, c'est logique. Je ne pense pas que Riot soit ruiné pour autant, ils adaptent seulement leur budget et font des tests.

 

Bien que Splyce soit une marque américaine, vous avez beaucoup investi dans des équipes européennes, League of Legends et CoD en tête. Pourquoi ce choix ?

Je pense que l'Océan atlantique n'existe pas dans le monde de l'esport. En Europe, parmi tous les langages, c'est l'anglais qui est le plus parlé, c'est pareil en Amérique du Nord, même s'il y a beaucoup d'hispanophones. Tout ce qu'on voit, nous, c'est une tonne de fans venant d'Amérique, d'Europe et même d'Australie. Et puis pour nos équipes européennes, ça a été le cas par cas. Pour League of Legends, Dignitas EU était plus forte que Dignitas NA à l'époque. Pour CoD, c'est plutôt un choix opportuniste. Aux États-Unis la scène est totalement dominée par FaZe, OpTic, EnVyUs... Alors qu'en Europe il y a des ouvertures. Être sur deux continents se fait de plus en plus, c'est le cas de Fnatic, Cloud9, G2... Dans 20 ans, j'espère qu'on nous regardera comme une marque occidentale avant tout.

 

 

Splyce n'a que trois ans, mais il y a déjà eu beaucoup de changements. Vous vous lancez sur des nouveaux jeux, mais vous avez déjà abandonné plusieurs équipes, l'équipe CS:GO, l'équipe Hearthstone... Pourquoi autant d'instabilité ?

C'est parce qu'on essaye beaucoup de choses, c'est de la Recherche et Développement. Il faut le dire, parfois on se trompe. Par exemple j'adore la scène des jeux de combats, mais c'est vraiment dur d'avoir un bon environnement économique pour une équipe. Il y a beaucoup de dépenses, mais pas beaucoup de revenus avec très peu de stream... Et en plus, comme c'est un jeu individuel, le transfert d'image du joueur à la structure ne se fait pas toujours. StarCraft est un peu l'exception, mais il y le même problème du transfert d'image pour Smash ou Hearthstone. Donc bien sûr qu'on a fait des erreurs et que parfois, on aurait pu mieux faire, mais on voulait aussi avoir une stratégie agressive de développement. On a essayé, avec des réussites et des échecs.

 

Je sais que beaucoup d'équipes sont actuellement dépendantes d'investisseurs extérieurs, qui apportent de l'argent et leur permettent de développer leur activité. Quand penses-tu qu'un modèle avec une structure indépendante puisse être mis en place ?

Déjà, chaque équipe est différente, avec ses moyens de monétiser son business. TSM ou Team Liquid ont par exemple leur propre site Internet. Splyce et FaZe, aussi, ne pourraient être plus différents, et pourtant, sur la scène esport, on est deux structures qui pèsent. C'est comme comparer un vendeur de voiture et un supermarché, il y a trop de différences. Mais à part ça, je pense que le système de franchises va dans la bonne direction pour permettre un investissement pérenne sur la durée. Une autre solution est aussi de mieux monétiser les viewers pour moins dépendre d'un sponsor. Je pense aussi que contrairement au sport traditionnel où les sponsors se battent pour être avec certaines équipes, dans l'esport, il y a beaucoup plus d'équipes que d'investisseurs. On n'a pas encore atteint le point de profitabilité sur la durée, mais on n'est plus très loin.

 

Qu'est-ce qui t'a donné envie de te lancer dans l'esport et d'avoir ta propre équipe ?

En vérité, c'est arrivé un peu par accident. En janvier 2015, j'ai rejoint un atelier pour apprendre à faire des plans d'entreprise et améliorer mes compétences en business. J'étais venu pour prendre des cours, mais dans ce cadre, j'ai aussi participé à une sorte de compétition qui récompensait les meilleurs plans, et j'ai gagné 25 000 dollars avec ma femme, que j'avais recrutée parce qu'elle s'y connaît beaucoup en business. Après avoir payé nos développeurs et les publicités, il devait nous rester 17 000 dollars. On a commencé à sponsoriser des petits tournois de CS:GO et au bout d'un moment, on m'a conseillé d'avoir une équipe. On a regardé, dans la ligue de l'époque, les équipes en bas de classement, parce que c'était logiquement les moins chères. Mais on s'est rendu compte qu'à part CLG et Cloud9, beaucoup d'équipes étaient sans sponsor et sans organisation. Au final, on a racheté une équipe qui était auparavant sponsorisée par une boîte de nuit de l'est canadien qui ne devait payer que leurs frais d'inscription. Puis ça s'est enchaîné : de fil en aiguille, on a créé une équipe de Warcraft, on a pris des joueurs de Smash... Puis on a pris une équipe de League of Legends et c'était le véritable tournant pour devenir une marque d'esport.